Pour tous ceux qui auront passé une partie de leur jeunesse à jouer à Donjons & Dragons, voilà une nouvelle qui produira un petit pincement au coeur.
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Fin de partie pour Gary GygaxLe créateur de Donjons et Dragons s'éteint à l'âge de 69 ansLa partie vient de se terminer pour le créateur du célèbre jeu de rôles Donjons et Dragons. Après avoir marqué deux générations de jeunes joueurs avec ses «royaumes oubliés» peuplés d'elfes, d'orques, de voleurs et de magiciens, inspirant au passage plusieurs auteurs et créateurs de jeux vidéo dans le monde, Gary Gygax a épuisé les derniers points de vie qu'il lui restait mardi soir au terme d'une longue maladie dans sa résidence de Lake Geneva, au Wisconsin. En âge, il avait atteint le niveau 69.
Fils d'un immigrant suisse, Ernest Gary Gygax de son vrai nom est à l'origine du phénomène mondial et épidémique des jeux de rôles, qu'il a amorcé en publiant avec son collègue Dave Arneson la première édition de Donjons et Dragons (D&D pour les intimes). C'était en 1974, au sein de la maison d'édition Tactical Studies Rules (TSR), qu'il avait fondée un an plus tôt avec son ami Don Kaye.
Dans l'esprit des jeux de guerre, les kriegspiele utilisés par les militaires pour simuler des combats sur table, ainsi que des «histoires créatives» grandeur nature élaborées par la Society for Creative Anachronism de la Californie à la fin des années 60, ce premier jeu de rôles commercial met à profit l'imagination de ceux qui s'y frottent en les menant à inventer des personnages et des aventures fantastiques dans des mondes irréels avec, comme seuls outils, une tablette de papier, une fiche de personnages, un crayon et une série de dés polyédriques.
Le décor médiéval et fantastique posé par Gygax, librement inspiré de celui du Seigneur des anneaux de John Ronald Reuel Tolkien, autre pièce maîtresse de la culture adolescente en Europe et en Amérique du Nord, contribue très vite à la popularité de ce jeu qui, dans les années 70 et 80, se répand dans les salons et les associations d'étudiants. Au grand bonheur de nombreux joueurs, majoritairement de jeunes hommes, prêts à rester plus de 24 heures d'affilée autour d'une table, face à un maître de jeu impartial, pour améliorer les compétences de crochetage, de déplacement silencieux ou d'évasion de leur personnage, entre autres facultés extraordinaires.
«C'est un jeu toujours très populaire», a indiqué hier au Devoir Alex Seliger, responsable des jeux de rôles dans un commerce spécialisé de Montréal. «En fait, il est même plus populaire aujourd'hui que dans les années 80, et ce, certainement en raison de la trilogie du Seigneur des anneaux [les films de Peter Jackson sortis au cours des dernières années], qui a relancé l'intérêt pour Donjons et Dragons chez les 15 à 25 ans.»
Un univers contagieuxIncontournable chez les adolescents attirés par les mondes fantastiques, les histoires de hobbits et le romantisme idéalisé du Moyen Âge, la création ludique de Gygax (dont les 1000 premiers exemplaires, assemblés à la main, se sont vendus en à peine neuf mois en 1974) a également inspiré tout un éventail d'autres jeux de rôles, par exemple RuneQuest en 1978, Stormbringer en 1981, ElfQuest en 1984, GURPS en 1986 ou encore Bloodlust au début des années 90.
En plus d'habiter plusieurs jeux vidéo, dont Halo 3 de Microsoft, ces terres lointaines foulées par des princesses, des brigands, des hommes ailés et d'autres créatures mi-humaines mi-bêtes se sont aussi retrouvées en 2000 et 2005 au coeur de deux adaptations cinématographiques, plus ou moins convaincantes, sous la direction de Courtney Solomon. Jeremy Irons, Bruce Payne et Thora Birch y campaient les personnages clefs de cet univers imaginé par un homme qui «vivait dans un état d'hébétude, tout particulièrement quand il créait un monde nouveau», a indiqué cette semaine son épouse, Gail Carpenter.
Icône malgré lui de deux générations de joueurs, Gygax, qui ne rechignait pas à porter des chemises hawaïennes, aura été à plusieurs reprises la cible de mouvements conservateurs américains pour l'ensemble de son oeuvre. Le motif? Donjons et Dragons, selon ces groupes, incitait la jeunesse à la dérive, au meurtre, au suicide et aux rituels sataniques en les plongeant dans des mondes libertins où, au moyen de l'imagination, tout était possible.
Les seins nus de jeunes humanoïdes visibles sur la couverture de certains livres de référence de ce jeu ont également été montrés du doigt par des groupes religieux, dont le harcèlement a mené Gygax à faire appel aux services d'un garde du corps pendant quelques années, avait-il confié en 2005 dans une entrevue accordée au site spécialisé GameSpy.
Malgré ces déconvenues avec ce que Nietzsche aurait qualifié de «moraline», Gygax, qui souffrait depuis 2004 d'anévrisme cardiaque incurable, a précisé sa veuve, a toujours eu, à l'image des personnages qu'il a créés, assez de charisme, de sagesse et d'intelligence pour traverser toutes ces tempêtes. Toutefois, il n'aura pas eu assez de points de force et surtout de points de vie pour assister au lancement de la quatrième version de Donjons et Dragons, que la compagnie Wizards of the Coast, désormais propriétaire des droits de ce jeu, se prépare à lancer sur le marché entre juin et août prochains.
L'annonce en a été faite lors de la dernière «Gen Con» (Geneva Convention), tenue en août dernier à Indianapolis, aux États-Unis. Ce célèbre festival du jeu a été créé en 1968 par Gygax lui-même, cet homme de jeux dont la dernière sortie de table risque d'être soulignée lors de la prochaine édition de ce rendez-vous de rôlistes. En grand, comme l'impose l'oeuvre qu'il a léguée cette semaine.
Source:
http://www.ledevoir.com/2008/03/06/179137.html